Après Dyson et Malongo, place aujourd'hui au dernier volet de la série d'articles sur l'obsolescence programmée. Alors que l'exemple des ampoules et du cartel Phoebus font partie des arguments régulièrement avancés pour dénoncer un système industriel nous poussant à consommer des produits "prêts à jeter" (et des ampoules ne durant pas plus de 1000 heures allumées), Christophe Bresson, Directeur de la communication de Philips Lighting France, a accepté de m'en dire plus sur leur approche du sujet.
Quelles sont les différentes activités développées par Philips aujourd'hui ?
Nous avons trois activités principales : l'éclairage, qui a donné naissance à la société en 1891 et représente 35 % du chiffre d'affaire au total (8 milliards de CA) ; la santé (notre activité principale, qui représente 40 % du chiffre d'affaire), puis les produits grand public (les soins de l’enfant avec la marque Avent, les soin de la femme avec les produits dédiés à l'épilation/séchage, du petit électroménager).
Notre valeur de marque est de 8,7 milliards d’euros, le groupe embauche 120 000 personnes dans 120 pays.
Concernant l'éclairage, la France est un pays clef avec six implantations industrielles (à Chartres, Lamotte-Beuvron, Chalon-sur-Saône, Dijon-Longvic, Villeneuve-Saint-Georges et Templemars), un Centre de Compétence Européen d’éclairage extérieur à Miribel et un des quatre centres de recherche et développement de la compagnie.
Les activités de Recherche et Développement représentent 7 % de notre chiffre d'affaires. Nous avons déposé 1400 brevets et 280 licences dans le domaine des LED (Diodes électroluminescentes) et nous menons beaucoup de recherches fondamentales, sur la bioluminescence et la production de lumière avec des bactéries (cf. image ci-dessous)
Que répondez-vous aux accusations qui pèsent sur l'industrie de l'éclairage concernant la durée de vie des ampoules ?
Cette question est étrange pour nous, car nos solutions ciblent des usages. Sur les marchés professionnels par exemple nous cherché une solution basse consommation pour offrir un produit qui dure longtemps. Les économies d'énergie n'étaient pas à l'origine de nos recherches, il fallait surtout trouver de quoi éclairer les bâtiments avec une solution plus performante que l’incandescence.
La LED est une autre rupture technologique qui permet de prolonger la durée de vie des produits (70 000 heures pour l’éclairage public, par rapport à l’usage qu’on en fait, c’est la durée de vie du mât et du lampadaire). Leur usage a été conçu initialement pour le secteur automobile : les constructeurs sont des gens innovants et stricts au niveau des performances des produits, il faut que les solutions durent longtemps, et aussi l'innovation a-t-elle été poussée par leurs exigences.
En ce qui est du cartel Phoebus, il faut se remettre dans le contexte de l'époque : on a su fabriquer des ampoules à incandescence qui duraient plus de 1000 heures, mais d’un point de vue de l'usage et de la dépense énergétique, c’était énorme ! Pour faire durer la lampe il fallait grossir le filament, on consommait plus d'électricité pour une lumière moins importante. Les lampes duraient trois ou quatre fois plus longtemps mais l’efficacité énergétique était divisée par deux.
Aujourd'hui, pour apporter de la fiabilité et optimiser l’usage du produit, on fait en sorte que le moteur puisse être changé. La raison ? Non pour anticiper sa panne, mais pour anticiper l’évolution du coût de l’énergie et être en capacité de le remplacer par un moteur plus performant. C'est en ce sens que nous répondons aux usages, en étant attentifs à l’efficacité du produit, à sa fiabilité et à son coût.
Se pose aussi la question du consommateur : est-il intéressé pour avoir des lampes qui durent 50 ans ? Cela implique d'utiliser des composants de grande qualité et cela a un coût. Sans compter que la transition énergétique va coûter de plus en plus cher : dans cinq à dix ans, les produits consommeront 70 % d’énergie de moins qu’aujourd’hui.
Quid de la durabilité des produits ?
Philips est très soucieux de la durabilité de ses produits. Ils sont conçus pour être recyclables (nous n'utilisons plus de solvant ni de colles, nous faisons en sorte de les recycler rapidement) et notre programme Ecovision guide cette politique depuis 1998.
De même, Philips a été un membre fondateur et acteur fort du recyclage avec Recylum. Aujourd’hui on a poussé au développement de recyclage des poudres de lampes néons. Et on récupère les terres rares.
Avec l'avénement des LED, le marché se prépare à être bousculé : les ampoules basse consommation ne sont là que de manière temporaire, en guise de solution intermédiaire.
D'ailleurs, la LED est beaucoup moins sensible à son environnement que les ampoules précédentes, si elle est bien conçue, elle ne chauffe pas et meurt rarement de manière prématurée. Elle corrige tous les inconvénients de l’halogène et de la fluocompacte en gardant les avantages des deux.
Les premiers produits LED sur la marché les ampoules étaient à 50 voir 60 euros. Aujourd’hui les volumes augmentent, la technologie est plus performante, et d’ici deux à trois ans ce sera un standard pour le grand public et la fluorescente va disparaître.
Votre modèle va être totalement modifié avec l'arrivée d'un tel produit ?
C’est une révolution de rupture car on passe sur un autre niveau dans l’éclairage artificiel. Avant on vendait une ampoule et régulièrement on venait la racheter toutes les 1000 heures, avec la LED on supprime 25 achats d’ampoules à incandescence… car elles durent 25 ans.
Donc on va vendre beaucoup les premières années, puis les ventes vont baisser. Mais la LED a pour avantage d'apporter autre chose que la simple ampoule : elle va s’intégrer dans les objets et donner de naissance à de nouveaux produits.
Dernièrement par exemple, nous avons lancé HUE, des ampoules LED qui changent de couleur et communiquent avec une petite base connectée à votre box. Ainsi, il est possible de piloter facilement l’éclairage, d'allumer, éteindre, créer des environnements particuliers. A terme, ce pilotage de l'éclairage deviendra la norme : la lumière est numérique et donc on va transmettre de l’information, comme le wifi. On pourra avec nos tablettes lire des informations qui seront transmises par la lumière.
Nous travaillons aussi avec Somfy (fabricant de stores) pour développer un store qui calcule automatiquement le meilleur équilibre entre la lumière dans le bâtiment, l’apport de lumière naturelle et l’apport de calories.
A Lyon, nous testons aussi des solutions d'éclairage public qui s'adaptent à la circulation. Tout éteindre n’est pas une solution, donc quand il n’y a personne l’éclairage est au minimum, et quand un piéton ou un cycliste passe, la lumière augmente et on surfe sur la vague de lumière...
Jusqu’avant, on vendait de la lumière, bientôt nous offrirons plus que de la lumière.
Anne-Sophie Novel // @SoAnn sur twitter
Pour aller plus loin
Cet entretien a été effectué dans le cadre d'une enquête menée pour le Hors-Série Réussir "Ces métiers qui changent le monde" de L'Express, en kiosques depuis le 31 octobre 2013.
L'institut de l'économie circulaire organise un petit déjeuner mercredi 13 novembre prochain: "Lutte contre l’obsolescence programmée / durée de vie des produits : le sujet avance enfin". Il mettra notamment en avant la récente avancée européenne sur le sujet.